"Le
dernier Diseur de Paix" :
Les Professionnels, quelques avis :
Le Préfacier : Jérôme CAMILLY, écrivain
Petru
Antoni, tisseur de légendes.
La langue est son refuge,
c'est une sorte de cabane de branchages faites de noms, d'adjectifs, de
verbes où il devait se réfugier quand il était enfant.
La langue corse, il l'a entendue dans le ventre de sa mère, répercutée
en ondes régulières dans un monde de silence, un bain amniotique
où il percevait des sons, puis des syllabes assemblées et
enfin, des mots qui se sont imprimés dans sa mémoire. Les
berceuses de nos mères, ce sont nos Iliade, nos odyssée qui
racontent le passé de l'île.
La langue
maternelle est notre héritage, c'est ce que nous avons de plus cher.
De plus intime. Les exilés, les déportés le savent
bien, eux qui souffrent de ne pouvoir s'exprimer. De ne pouvoir être
compris.
Les conteurs, comme Petru,
ne se séparent jamais de la parole, ils la partagent, ils
la dispersent. C'est leur miel quotidien. La banalité, grâce
à eux, se change en source vive. Les expressions courantes deviennent
des lambeaux de poésie. Les conteurs vous transportent, même
si le voyage auquel ils vous invitent est immobile. Ailleurs, c'est la
porte à côté.
La vérité n'existe
pas, c'est une vue de l'esprit, rien de plus ! Ceux de la race de
Petru Antoni en sont convaincus. Bien sûr, le corse que parle Petru
n'est pas celui des linguistes, il n'est pas élevé au lait
de l'université. Il pousse, barbare, où bon lui semble. Si
bien que ce que raconte "Le Dernier Diseur de Paix" s'adresse à
tout un chacun. Il y a dans ce texte, une mélodie, un grain de voix
qui s'accorde à celle de l'auteur, à la cadence de ses phrases.
A ce propos, le corse imprime-t-il
son rythme langagier au français ? Possible, car l'écriture
de Petru Antoni est pétrie d'oralité, de musiques, de bruits
familiers. Sans se hausser du col, elle nous parle à hauteur d'homme.
Elle ressemble à son auteur : modeste et sincère. Faut dire,
entre nous, que ne pas être sincère pour un conteur, c'est
se renier, se trahir tout à fait.
Petru, je l'ai entendu parler
de l'arbre qu'il avait abandonné pour aller gagner sa vie du côté
de Paris, sur un continent confit en rationalité où le parler
corse est l'égal d'un patois mineur.
A son retour, l'arbre
était au rendez-vous. Il l'a raconté, à sa façon,
dans son dernier livre. Son arbre, il avait la patience végétale.
Comme ces maisons qui ont la patience des pierres. En dépit du vent,
du froid, de la neige, de la canicule, déterminé jusqu'en
ses racines, l'arbre était là, dressé. Totem vivant,
demeuré debout pour saluer l'enfant du pays, le fils revenu fouler
sa terre.
Ce n'est un secret pour personne,
l'imagination fabule volontiers dans la forêt. On dit que les bois
des navires, et spécialement leur mât, était taillé
dans un chêne qui avait la propriété de parler. Cette
particularité favorisait les voyageurs puisque le mât, en
cours de route, annonçait les écueils et le mauvais temps.
Petru Antoni a des bonheurs
d'écriture qui ne viennent qu'à ceux qui ont le cœur fécond.
A l'affût de la nature, il note les distorsions de la morale, sans
jamais porter de jugement. Il est conteur prolixe, et non pas beau parleur,
parce que le second nommé parle comme il respire et ment comme un
arracheur de mots.
C'est de nos vieux qu'il fait
la chronique, Petru. Ses images ressemblent à celle d'Ange Tomasi,
ce génie de la photographie dont les modèles regardaient
droit dans l'objectif. C'est la pauvreté, la dignité, le
bonheur d'être qu'ils perpétuent, l'un, avec ses visages et
ses paysages en noir et blanc, l'autre, avec un passé qui nous révèle
à nous-mêmes ce que nous sommes.
Bastianu, "Le Dernier Diseur
de Paix", s'est lancé dans une interminable quête, à
la recherche de Vannina, son amour enfui. Le récit de Bastianu est
une sorte de réceptacle du monde intérieur, de ces gens qui
s'aiment, s'opposent, se jettent des défis. S'entre-tuent.
Notre mythologie méditerranéenne,
comme le ciel, a sa voie lactée faite de poussières d'étoiles
invisibles à l'œil nu. Les personnages de ce livre peuplent les
airs et les eaux, s'agitent dans les forêts et animent les tours
et les détours des fables. Sans cesse en mouvement, ils génèrent
des images et stimulent l'esprit par une suite de rébus plus compliqués
que l'orient.
De vous à moi, ceux
qui ont les yeux clairs voient-ils le monde autrement ? A ce jour, aucune
autorité scientifique ne l'affirme ou ne l'infirme. La place est
libre pour s'engouffrer dans la brèche. Les yeux clairs se plaignent
d'être incommodés par la lumière, blessés par
le soleil. Mais, la nuit, ont-ils une perception différente?
Je pose ces questions, en
apparence anodines, à l'évocation de Petru Antoni dont le
regard est d'un bleu fluide, comme ces ciels peints dans le chœur des églises
de villages. Il existe une harmonie entre les yeux et la voix de cet homme.
A croire que l'histoire qu'il évoque est tempérée
par la vision qu'il en a. Des histoires, il lui en vient au lèvres,
spontanément, simples comme le sifflement d'un berger, transparentes
comme l'éclat de rire d'un enfant. Car, à l'inverse de ceux
qui se sont évertués à la gommer, Petru a conservé
sa part d'enfance qu'il fait partager à son lecteur. Et voilà
que les plus blasés renouent avec le rêve éveillé,
ce dérapage incontrôlé qui nous ouvre des pans entiers
de mémoire occultée.
Les conteurs se chargent de nous rendre une conscience que nous avions ensevelie. Eux, se promènent dans les deux hémisphères avec des airs dégagés de dilettantes. Ils déplient, sous nos yeux, une fresque qui tient debout grâce à la magie du verbe. Ensuite, ils déroulent le tissu d'une légende trouée d'énigmes, telle est la vocation des tisseurs de légendes.
Quand bien même le mondialisme
stériliserait la planète, (ce qu'à Dieu ne plaise!),
nous aurons de plus en plus besoin de ces hommes et de ces femmes-là.
Ces bâtisseurs d'utopies nous ramènent à nos vraies
dimensions, à nos racines, ils font de nous des arbres en
devenir.
Petru navigue dans l'irrationnel
avec l'aisance d'un navigateur solitaire. Son océan à lui,
ce sont des étendues de locutions qui vous obligent à vous
confronter à cette réalité qui côtoie les chemins
tortueux de l'histoire populaire. Ses personnages sont en conformité
avec cette île : poètes par nature, fous de leurs quelques
arpents de terre et contraints de faire face à l'hostilité
des autres, ceux venus de l'extérieur.
Les décors de ces histoires,
il les connaît depuis l'enfance. Au gré des années,
il les a accommodés, il a recherché ces hameaux isolés
qui échappent à ceux qu'aucune curiosité n'anime.
Cet homme ressemble à
son pays, au point qu'il est le dépositaire des rumeurs ou des inimitiés
qui ont pris des dimensions de guerres dérisoires.
Ecoutez sa voix, avec sa rhétorique
incantatoire, elle a l'accent du passé. Ce n'est pas de nostalgie
dont il est question, mais plutôt de pratiques, de coutumes, de traditions
qui méritent d'être perpétuées. Il ne vous entretient
pas de ces informations très générales qui font l'actualité...
et puis s'en vont, mais des grands moments qui sont les temps forts d'une
vie. Dans ces pages, il y a une douceur dans la douleur exprimée
et de la légèreté dans les drames. Et quand il dit
l'amour, il ne s'agit pas d'une bluette, et quand il évoque la mort,
ce n'est pas un cauchemar, mais un état de silence, un passage.
Petru est un transmetteur.
Sans doute, y-a-t-il quelque chose du voyant chez cet homme qui, à
longueur de temps, démonte, une à une, les apparences. Ce
qui est certain, c'est qu'il parle comme il écrit et retranscrit
comme il s'exprime. Sans fard. Ce pourrait être une littérature
de péril qu'il pratique, en fait, c'est aussi émouvant que
cette expression qui, enfants, nous laissait bouche bée : "Il était
une fois..."
Qui veut connaître la
suite doit tourner la page.
Jérôme Camilly
- Webzine International ;
LITTERATURE,
HISTOIRE et SOCIETE
(www.webzinemaker.com)
Roger Piétri (19 nov. 2002)
...Une
écriture élégante, des références en
matière historique d’une époque révolue mais qui a
marqué la mémoire collective....
Voilà pour les très
nombreux lecteurs de « Littérature, Histoire et Société
» un livre à acheter et à lire (
et à relire de temps en temps ), mais
aussi un livre de contes merveilleux à acheter pour offrir au moment
des fêtes. Ce magnifique livre doit permettre à une communauté
de mieux se connaître, et à des étrangers de faire
connaissance avec cette communauté qui vit sur cette montagne dans
la mer.
La
Corse Votre Hebdo du 22 novembre 2002:
Nathalie BASTIANI
-
...C'est ainsi que "Le Dernier Diseur de Paix" ou " l'ùltimu
Paciaghju", (...) s'installe sans hâte, sans effets. Et pourtant
une adhésion immédiate, naturelle au personnage de Bastianu,
à ses moindres faits et gestes, ses hésitations et
ses silences, à son décor, opère en douceur. Le livre
vous imprègne lentement, profondément, progresse pas à
pas à la manière de Bastianu, vieux bourlingueur qui bouleverse
par son humanité, passionne par la profondeur de son regard, sa
manière de respirer la saveur de la vie de tous les jours.
Sans doute parce que l'écriture
sans rugosité de Petru Antoni, ses mots humbles et costauds, l'absence
d'éloquence, résonnent comme un appel à l'imaginaire,
celui par lequel le réel acquiert sa force, rendent palpables le
tumulte de l'espoir, les cris muets de l'angoisse. Jusqu'à nous
procurer le même délicieux plaisir que celui qu'on éprouve
à la découverte de lettres oubliées dévoilant
d'émouvants secrets de famille.
En échappant
à tout misérabilisme, sans ostentation, avec authenticité,
Petru Antoni nous projette de plain-pied dans l'univers de Bastianu. Où
règne une fatalité singulière, où les gens,
les événements, les paysages sont parfois des miroirs à
deux faces qui soufflent le chaud et le froid....
La force documentaire
de l'ouvrage saute aux yeux dès les premières pages. C'est
la Corse de 1850 à 1936 qui est au coeur du roman.
Celle, violente
des hommes pris au piège dans une société où
la place de chacun est prédéterminée.
Celle
douloureuse, où les filles se cognent à l'incompréhension
familiale et cherchent désespérément à fuir
l'autorité des pères. Il y a Vannina, "l'amour de Bastianu",
jeune fille brune au yeux verts, (...) Alba, qui voit déjà
le père "lever un bâton", puis Anna Maria, "fille de sgio"
balanin, prête à prendre le risque tragique de mélanger
"l'eau et l'huile". Tandis que le deuil, le déchirement insoutenable
se disent dans le flux harmonieux de l'histoire, à côté
de fugaces moments d'allégresse, de jeunesse....
Au fond, presque rien ne change
dans la lancinante errance de Bastianu. (...) Mais, ce presque rien, Petru
Antoni s'en empare délicatement pour y loger la signification ultime
et émouvante de son livre. On est un moment projeté dans
l'univers enchanté du conte. Avec ses mots discrets, retenus, Petru
Antoni frappe à coup sûr, côté coeur.
Une semaine,
un livre. Journal de la Corse (28 mars au 3 avril 2003
Marie-Hélène FERRANDINI
Un quêteur
de merveilleux.
L'amour de la langue éclate dans le livre
"Le Dernier Diseur de Paix" ou "L'ùltimu Paciaghju" de Petru Antoni.
Son héros Bastianu est à la fois un quêteur de merveilleux
- mû par une obsession à effacer et un amour idéal
à incarner - et un voyageur quotidien. Comme dans un roman picaresque,
il s'enfonce dans la Corse profonde, de la Balagne, de l'Alta Rocca, de
Portu Vecchju, de Calcatoghju et j'en passe, car la Corse entière
est ici convoquée - et croise les insulaires dans un quotidien de
travail.
Toute la poésie antique des anciens métiers
est là révélée, menuisiers, charbonniers, batteurs
de blé retrouvent leurs gestes et leur rituel sacré.
Les traditions les plus ancrées dans la vie
de l'île (celle des confréries,...) revivent sous les yeux
d'un héros qui fait ainsi un apprentissage qui le métamorphosera
en la figure sereine d'un Diseur de Paix. "J'ai été choisi
Diseur de Paix, moi Bastianu, pour aller dans les villages porter l'apaisement
des coeurs repus de haine et d'amertume".
Une "profession" peut-être qu'on devrait penser
à réactualiser...
Marie-Hélène FERRANDINI
Bulletin d'Informations Culturelles
CULTURA
Outil Technique de Conseil et de Développement
Culturel de la Collectivité
Territoriale de Corse (N° 12, - avril 2003)
À l'intrachju di a so vita, 85 anni compii, Bastianu s'arricorda. Di a so disgrazia chì u seguita dapoi a so nascita, di i so parenti addutivi, Livia è Bartulumeu u disertore tombu da Cicchichju di a Curbaghja, di a so fiura ch'ellu ùn si pò caccià di capu, di Vannina, u so amore persu. À circarà, longu a so vita, andendu da un paese à l'altru, stantendu u so pane fendu u stazzunaru, u cultellaghju o u segantinu è fughjendu a so brama di vindetta da divintà l'ùltimu paciaghju. Sottu à a piuma di Petru Antoni, si scorre u longu viaghju trà a Corsica sana d'un omu feritu è di quale a cerca ùn si compie cà cù a morte. Publicatu in una edizione bislingua, l'ùltimu paciaghju s'offre à u lettore cum'è un contu filisofficu. In quantu à u so autore, s'impone, per u scrittore Ghjilormu Camilly chì hà scrittu u prifaziu di u libbru, cum'è un "tissatore di fole".
Traduction : A 85 ans révolus, Bastianu se souvient de sa vie. De sa malchance qui le poursuit depuis sa naissance, de ses parents adoptifs Livia et Bartulumeu le déserteur tué par Cicchichju de la Curbaghja, de son image qu’il ne peut sortir de sa tête, de Vannina son amour perdu. Il la cherchera au long de sa vie, allant d’un village à l’autre, gagnant son pain par les métiers de forgeron, coutelier ou scieur de long, fuyant son désir de vendetta jusqu’à devenir le dernier diseur de paix. Sous la plume de Petru Antoni, se déroule le long voyage à travers la Corse entière, d'un homme blessé (par la vie) pour lequel la recherche ne se termine qu'avec la mort. Publié en une édition bilingue, "Le Dernier Diseur de Paix" s'offre au lecteur comme un conte philosophique. Quant à son auteur, il s’impose, selon l’écrivain Jérôme Camilly qui a écrit la préface du livre, comme un "tisseur de légende".
Robin Renucci : Sept. 2009Allons maintenant, consulter le courrier des lecteurs...>
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