Générations:
    La Corse Votre Hebdo (Juillet 2002) ( Paragraphe I -Résurgences- )
          Carte Blanche à...
                   Gérald Antoni

               I - Résurgences

    La semaine dernière, j'ai fait la connaissance de Saveriu et de son épouse Fiordalice, au détour de la cote E138 A5... à l'improviste d'ailleurs, tant j'avais renoncé à les chercher, après des semaines d'errance entre actes notariés, état civil et registres paroissiaux. Les rencontres les plus belles ne surviennent elles pas lorsque l'on n'attend plus rien ? Des amis ? Bien plus sans doute ! Dès cette rencontre, tout changea pour moi, l'espace et le temps, les lieux  de mes racines, jusqu'à mon être même.
J'étais assis dans l'accueillante pénombre des Archives Départementales d'Ajaccio ; par la fenêtre, les tours des Salines offraient à l'incandescence torréfiante d'Août leurs arêtes d'acier et de béton ; la sueur me brûlait les yeux, quand soudain, au bas d'un registre, sur la page pelucheuse prête à partir en poudre... des noms, des lieux-dits, des dates : "Il vinti frimario, Anno settimo della Republica Una e Indivisibile, Pietro ha presentato un fanciullo... suo nome Giuseppo Antonio...... Saverio testimone di eta settanta quattro...". Je suis pris, je m'engouffre ! C'est bien lui Pietro, le père de mon trisaïeul, né vers 1757. Paoli siégeait alors au Palazzu Naziunale... Saverio suo padre est présent, en qualité de témoin... 74 ans... il est donc né vers 1720... la Régence à Paris ! La Corse sous le fer génois... ! Les mêmes prénoms se présentent, éternel retour de Pierre, Xavier, Antoine, rotation ininterrompue qui unit de siècle en siècle les descendants aux ancêtres. La continuité des lieux s'inscrit, elle aussi, en filigrane : "sua moglia Fiordalice ha partorito nella sua casa situata nel poggio detto Casanova, communa di Salice." Je l'imagine sans peine deux siècles auparavant, ce seuil de la Casanova d'où, enfant, je bondissais par dessus le strittellu, au risque de me rompre le cou, jusque sur le perron  de l'église. Quant aux repères temporels donnés par le registre, ils me rendent contemporain de cette naissance du 15 Décembre 1798, "ott'ore e mezzo",... je la vois cette pâle lueur d'une aube de l'Avent ; elle rasait les gouffres de la Punta Migliarellu et devait s'en aller baigner les orgues minérales de l'Agulaghja.
    C'est une compression, une abolition du temps qu'il m'est donné de vivre ; vertige de se sentir palpitant dans l'étouffante fournaise de ce jour d'été, et pourtant tissé, dans toutes les fibres de ma chair, par cette cohorte de morts. Si un seul de ces milliers d'inconnus n'avait rencontré tel jour à telle heure, il y a 150 ou 300 ans sa Fiordalice, son Giulio Stefano, je ne marcherais pas aujourd'hui, tiré du néant, sur la terre des vivants.
    Le généticien dira que tout bébé à sa naissance est vieux comme le monde, car il porte en lui, brassé dans le tourbillon des siècles, l'héritage des innombrables générations dont il est l'aboutissement. A cet égard, la douleur liée à l'exil s'apaise ; il n'est plus de déchirure entre la Corse et moi. Où que je vive, je la porte en moi, l'île verte et calcinée; j'en suis un fragment éclaté, pétri plus encore que la terre du Cruzinu, de la chair, du sang et des os, des angoisses, des fureurs et des élans di quell'antichi.
    Au-dessus de moi, les cristaux liquides de l'horloge annoncent que les Archives vont bientôt fermer. Dix minutes encore pour cheminer dans la cendre chaude. Au fil de la lecture, une mosaïque d'événements s'assemble  peu à peu, et ce monde enfoui jaillit à nouveau en pleine lumière,.... une épidémie de petite vérole décime les enfants en 1871,... un marchand d'huile venu de Muro en Balagne est tué d'un coup de feu en Août 1838,... Jean Antoine, né en 1792 épouse à 46 ans une fille de 18 ans sa cadette. Il devait être de la classe 1812  ;  après les campagnes de Russie et de Saxe, les batailles de Bautzen, Lützen et Leipzig, Waterloo peut-être... jusque sous les murs d'Alger en 1830, il revient au village pour procréer avant de mourir presque aussitôt, en 1841. Quelques feuillets plus haut, on évoque un mariage célébré en Décembre 1830 dans la demeure même de l'époux, trop gravement malade pour se déplacer à la maison commune,... un accès de malaria ou un contentieux politique avec le maire du moment ? En parlant de litige ! cette plainte du "Conseil de fabrique" émise en Février 1835 contre un paroissien de Salice trop fervent ; régulièrement, il forçait la porte de l'église pour courir à l'autel, "abbeverarsi à l'olio del Santo Sacramento". Voulait-il se sanctifier avec l'huile de la veilleuse ou simplement amollir un pain qui lui déchirait par trop les gencives ?
    L'écriture des officiers d'État civil restitue, elle aussi, toute la diversité des caractères. On y voit les minutieux, les expéditifs voire les excédés, ceux qui hachent la feuille, la strient rageusement, ceux qui la caressent avec amour et forment des lettres d'écolier studieux. Le toscan perdure jusqu'aux années 1840, cède sporadiquement au français dès 1848, pour s'effacer définitivement sous le second Empire.
    Demain, je remonterai au village et suivrai le sentier de Santu Stasgiu, cette ornière taillée dans le tuf. En contrebas : un gouffre mal dissimulé par un dais de ronces ; invisible, au fond, halète le ruisseau de la Noce. En surplomb : des dômes, des crânes, des sphères de granit amoncelés en chaos, enserrées par les racines des yeuses, qui se crispent comme des griffes, se vrillent sur elles mêmes,  se coulent entre les blocs pour jaillir au milieu du sentier en lanières reptiliennes. Un vent venu de nulle part se lève, la frondaison des lecce crépite puis se met à gronder, le souffle s'épuise enfin en une haleine ténue. ... Ils sont là, tapis entre les roches. Soudain, l'ombre mouvante se peuple de visages,... je les vois, ils se dressent au long de cette coulée de pierres, chemin de toutes les invasions, de tous les départs sans retour vers les guerres lointaines. Je la vois Maria Cinarchesa, morte en couches à 15 ans au printemps 1806, et cet officier cosaque de l'Armée Blanche accueilli à Salice en 1922 après la défaite du général Wrangel face aux bataillons de Trotski ; il devise sous les chênes avec son compagnon de débâcle, le peintre Choupic***. L'artiste exilé lui confie son désir de repeindre la voûte de l'église et d'y reproduire à l'identique, l'Assomption de Murillo... Je le vois aussi, ce colporteur ligure que les bergers de Cagnula ont hébergé. Il redescend vers le fleuve, après avoir échappé aux gardes du Civile Governatore génois. Son crime ? Il a entretenu commerce avec les pirates barbaresques, sans aussitôt se présenter au magistrat de la santé. Cette omission peut lui valoir cinq années de galères, car la peste rôde toujours en ces années 1710.
    Tandis que je m'apprête à refermer tables décennales et manuscrits, un éclair jaune traverse les vitres, un vrombissement gras déchire le silence. Le ventre au ras des crêtes d'immeubles, un Canadair vient de plonger entre l'Amirauté et la base d'Aspretto. Suis-je encore de ce monde ? Oui sans doute, mais je ne suis plus seul en moi-même, je deviens multiple. Elle m'habite cette communauté ramifiée à travers les âges, secrètement greffée sur la Méditerranée entière et bien au-delà. L'universalité ne se conquiert pas dans l'élaboration de systèmes idéologiques ni dans la fondation d'institutions mondiales. Elle se rejoint d'abord au cœur de l'humus des siècles que chacun porte en soi.

    *** Choupic, peintre russe sollicité pour l'église latine de Carghjese, a également réalisé les fresques de l'église de Salice. Sa signature est apposée au-dessus du porche d'entrée, à la date de 1929. Il s'inspire des maîtres baroques du XVIIe siècle : une réplique de l'Assomption de Murillo et une descente de Croix surplombent la nef. Les quatre évangélistes et une figure de Dieu le Père trônent en gloire au-dessus du transept.
    Russe "blanc", Choupic est engagé dans l'armée du baron Wrangel sur le front de l'Ukraine, face aux bolcheviques. La contre offensive victorieuse de ces derniers en 1921, le conduira à s'embarquer à bord du navire français "Riom" avec des centaines d'autres soldats tsaristes réfugiés. Tous débarqueront à Ajaccio en 1922; ils seront bien assimilés à la population corse; deux d'entre eux feront souche à Salice.
 

 II - Etat des familles à Salice en 1726. (Archives Départementales-Corse du Sud)
 

        Lista del stato dell'anime del Salice. La Chiesa di Sant'Eustachio.

      Famiglie :                                                19
       Preti :     Il Chierico Gio Battã
                     Gio Andrea di Paolo                      2   (Sans doute branche des Paoli)
     Chierichi in Sacris                                          n
     Chierici in Minoribus : Nunzio di Pier Gio       1
     Frati e Regolari                                              n
      Maschi d'ogni eta                                       50
      Femine d'ogni eta                                       55
     Assi alla communione (communiants)            55
       Non assi                 (non communiants)       50
       Meretrici (prostituées)                                  n
      Concubinarij                                                 n
       Tutti inseme                                            105
 
 

        Extrait du Stato dell'Anime -1735- (Maisonnée)

                        Antone figlio di Clemente                                            63 anni
                        Cecilia figlia di Giovanni di Guagno- (sposa d'Antone)  40 anni
                        Saverio figlio  (Saviriolu)                                              10 anni ( Patriarche des Antoni "di Saviriolu" de la Casa Nova)
                        Maria     figlia                                                             15 anni
                        Mattea figlia                                                              6 anni
                        Giovanna figlia                                                           3 anni
                        Matalena figlia                                                           1 annu

        Autre Maisonnée (Sans doute des parents proches des précédents)

                        Padivantonio figlio di Carlo Maria                                  70 anni
                        Gianni Francesco figlio                                                   25 anni
                        Vettoria figlia di Gio Paolo (sposa di Gianni francesco)   20 anni
                        Lunetta figlia di Padivantonio                                          29 anni
                        Giulia    figlia                                                                  15 anni

         Maisonnée Pinelli de Salice

                       Pasquale figlio d'Andrea                                                   36 anni
                      Chilara figlia di Giovanni di Guagno (épouse du précédent)42 anni
                       Antoniotto figlio                                                               13 anni (ancêtre di I Maraburi de zia Maria Rosa)
                      Carlo Francesco figlio                                                      6 anni
 

         La loi du Concile de Trente (1545-1563) interdit les mariages dits "impurs" ou encore "incestueux" ou tout simplement consanguins.

                 Le degré de parenté ne pouvait être inférieur à "cousins de 5ème rang". Dans le cas contraire, il fallait formuler une demande de dispense. Dans tous les cas un témoignage généalogique de degré de parenté entre les futurs époux était exigé.

                Ci-dessous un certificat visant à obtenir une dispense de "consanguinité" entre deux cousins de quatrième degré. Le témoin est Antone figlio di Clémente, père de Saverio (u Saviriolu). (Traduction du document des Archives Départementales 2A)

               1734 le 12 mai à Salice, comparaissent Antonio fils de Clémente et Ignace de Luzio (père de Martino et patriarche de l'autre branche des Antoni de Salice). Ils certifient que Gio Francesco figlio di Padivantone de Salice et Vittoria figlia de Giovanni sont au quatrième niveau de consanguinité et désirent obtenir la dispense pour leur mariage, selon la forme du Sacré Concile de Trente et du rituel Romain.

                                    Paolo stipile  (racine ou sterpa)
            Gio Paolo figlio di Paolo    -   Andrea figlia di Paolo                      (Frère soeur)
            Paolo figlio di Paolo          -   Carlo Maria figlio di Andrea            (cousins germains, cucini carnali)
            Giovanni figlio di Paolo      -   Padivantonio figlio di Carlo Maria   (cousins de troisième degré, cucin' di terzu)
            Vittoria figlia di Giovanni    -   Gio Francescu figlio di Padivantone ( cousins de quatrième degré- demandeurs de dispense pour leur mariage)

                                   si che sono in quarto grado di consanguinita. Signé (en partie illisible) Anto /Leca  Cancellieri furanio

    III-  Arbre généalogique des Antoni du "Saviriolu".  (En construction)

   

    IV- Ascendance Angèle-Marie Paoli épouse Pierre Antoni. (en construction)


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