De la pax romana à Pascal Paoli

               

Le roman et l’histoire.
Préface

L’histoire peut devenir le lieu d’oppositions marquées selon la lecture que l’on fait des chroniques. Elle a aussi ses "écoles", qui varient au gré des méthodes, mais aussi  – ne le disons pas trop fort, de peur de nous l’entendre reprocher – selon la mode universitaire. Quant à l’histoire dont il est ici question, il faut remarquer que ce n’est pas celle d’un grand État, mais d’un pays et d’une époque non reconnus dans l’institution, en marge des événements réputés majeurs. Dans ces conditions c’est une tâche ardue que de rappeler la leçon essentielle d’une période, des hommes qui l’ont marquée et, parmi eux, ceux qui s’y sont illustrés. 

 Voilà ce qu’a entrepris Pierre Antoni en écrivant un livre qui embrasse plusieurs siècles d’histoire de la Corse, de la Pax Romana à la bataille de Ponte Novu. C’était un véritable défi car les événements évoqués s’orientent en deux directions. La Méditerranée d’une part, l’espace géopolitique et géoculturel où s’abreuve la vie corse tout au long de la période considérée ; l’île elle-même d’autre part, à chaque étape de l’édification de son histoire nationale, avec ses alternances d’aubes claires et de crépuscules ensanglantés, et les temps ténébreux, et le silence dont pâtit toujours toute histoire non instituée. Ainsi se révèle la trame d’une histoire locale conservée dans les chroniques et documents jusqu’alors négligés par les investigations de la science historique.

Il fallait donc bien du courage et du talent pour s’atteler à une telle entreprise, mais l’auteur n’a pas eu la moindre hésitation pour évoquer de pair l’histoire de l’île et des contrées qui l’entourent, l’Italie surtout. Une perspective qui conduit aussi à la région que l’on découvre du Monte Cervellu : l’auteur nous invite  « ...à cheminer au creux de ses ravins jusqu’aux prairies arasées qui le couronnent. De là-haut, se déploie un panorama vers l’immensité d’un horizon ouvert sur la mer, de Sagone à Portichju et limité par la barrière circulaire des montagnes, scandée par le Cuscione, le Renosu, le Monte d’Oru, le Rotondu, le Cintu et la Paglia d’Orba ».

C’est précisément l’une des qualités de ce livre qui renvoie à une région  pour ainsi dire fertilisée grâce à l’histoire qu’ont façonnée ses enfants. Au premier chef, la grande figure héroïque de Circinellu que signalent l’amour de la patrie et la fidélité.

De manière originale, le récit s’attache à présenter les grands événements de la période à travers la chronique locale qui en devient microcosme de l’histoire. Mais l’attrait de ce livre ne s’arrête pas là. Antoni a eu l’audace que n’ont plus les historiens aujourd’hui : sans trahir la documentation, l’histoire devient ici roman. À travers le parcours de son personnage Marcu Aureliu, l’amour contrarié et tragique du jeune homme, la carrière ecclésiastique qu’il emprunte après la mort de sa bien-aimée, l’histoire générale de la Corse se fait histoire des hommes, des villages, et transporte jusqu’à aujourd’hui ses grands enseignements.

De fortes leçons d’exemples sans moralisme aucun. En feuilletant ces pages toutes bruissantes du tumulte de la guerre, mais que vient souvent adoucir la délicatesse des sentiments et renforcer la noblesse des idées soulevées, le lecteur ne tarde pas à se laisser prendre et à vivre une histoire qu’il reconnaît comme la sienne, malgré la différence des temps, des lieux et du mode de vie.

    Mais n’allez pas croire que la fiction ne serve qu’à rappeler l’histoire. "Par force ou par amour" est un vrai roman. Mais je n’en dis pas plus : lisez et vous verrez. Et votre lecture achevée, vous éprouverez ce sentiment de plaisir et de nostalgie qui fait le charme de la littérature.

 

Jacques Thiers
Directeur
Centre Culturel de l’Université de Corse.

Extraits >>>
Les lecteurs>>>
Accueil >>>