Voilà
ce qu’a entrepris Pierre Antoni en
écrivant un livre qui embrasse plusieurs siècles
d’histoire de la Corse, de la
Pax Romana à la bataille de Ponte Novu. C’était un
véritable défi car les
événements évoqués s’orientent en
deux directions. La Méditerranée d’une part,
l’espace géopolitique et géoculturel où
s’abreuve la vie corse tout au long de
la période considérée ; l’île
elle-même d’autre part, à chaque étape de
l’édification de son histoire nationale, avec ses
alternances d’aubes claires
et de crépuscules ensanglantés, et les temps
ténébreux, et le silence dont
pâtit toujours toute histoire non instituée. Ainsi se
révèle la trame d’une histoire
locale conservée dans les chroniques et documents
jusqu’alors négligés par les
investigations de la science historique.
Il fallait
donc bien du courage et du talent pour s’atteler à une telle entreprise, mais
l’auteur n’a pas eu la moindre hésitation pour évoquer de pair l’histoire de
l’île et des contrées qui l’entourent, l’Italie surtout. Une perspective qui
conduit aussi à la région que l’on découvre du Monte Cervellu : l’auteur
nous invite « ...à cheminer au
creux de ses ravins jusqu’aux prairies arasées qui le couronnent. De là-haut,
se déploie un panorama vers l’immensité d’un horizon ouvert sur la mer, de
Sagone à Portichju et limité par la barrière circulaire des montagnes, scandée
par le Cuscione, le Renosu, le Monte d’Oru, le Rotondu, le Cintu et la Paglia
d’Orba ».
C’est
précisément l’une des qualités de ce livre qui renvoie à une région pour ainsi dire fertilisée grâce à l’histoire
qu’ont façonnée ses enfants. Au premier chef, la grande figure héroïque de
Circinellu que signalent l’amour de la patrie et la fidélité.
De
manière
originale, le récit s’attache à présenter
les grands événements de la période à
travers la chronique locale qui en devient microcosme de
l’histoire. Mais
l’attrait de ce livre ne s’arrête pas là.
Antoni a eu l’audace que n’ont plus
les historiens aujourd’hui : sans trahir la documentation,
l’histoire
devient ici roman. À travers le parcours de son personnage Marcu
Aureliu,
l’amour contrarié et tragique du jeune homme, la
carrière ecclésiastique qu’il
emprunte après la mort de sa bien-aimée, l’histoire
générale de la Corse se
fait histoire des hommes, des villages, et transporte
jusqu’à aujourd’hui ses
grands enseignements.
De fortes
leçons d’exemples sans moralisme aucun. En feuilletant ces pages toutes
bruissantes du tumulte de la guerre, mais que vient souvent adoucir la
délicatesse des sentiments et renforcer la noblesse des idées soulevées, le
lecteur ne tarde pas à se laisser prendre et à vivre une histoire qu’il
reconnaît comme la sienne, malgré la différence des temps, des lieux et du mode
de vie.
Mais n’allez
pas croire que la fiction ne serve qu’à rappeler l’histoire. "Par force ou
par amour" est un vrai roman. Mais je n’en dis pas plus : lisez et
vous verrez. Et votre lecture achevée, vous éprouverez ce sentiment de plaisir
et de nostalgie qui fait le charme de la littérature.