Le moulin de Traboccu            U mulinu di Traboccu

– Au cas où vous voudriez vous rendre à Traboccu, il serait préférable d’emprunter le chemin du Baldu, car par celui de la Casella vous seriez projeté directement sur les hauteurs de périlleuses calanques.
    Trois sources sont à l’origine du ruisseau de Traboccu. Au pied du Mont Tritorre, tout près des anciennes bergeries de Ziu[1] Anghjulu-Maria, le rocher de Càgnula, donne naissance au torrent principal jaillissant plus bas sur la cascade de l’Ancone d’une hauteur de cinquante mètres, avant de rencontrer dans les châtaigniers de l’Onda, le ruisseau descendu de la roche des aigles, lieu-dit l’Aculaghja. Le cours d’eau qui surgit en contre-bas dans les châtaigniers de la Casella, après avoir traversé les gorges de la Bughja, trouve sa source dans le ravin de la Croce, au flanc du mont Ciarbellu.

Voilà d’où  viennent, toujours très abondantes en hiver, les eaux qui se jettent dans les précipices de Traboccu.
    Jadis, trois moulins fonctionnaient pour pouvoir moudre les châtaignes de Salice et des environs : celui de la Bughja, un deuxième à la Casella, le troisième à Traboccu. L’été, le moulin de Lovisani situé près de Téti dans la vallée du Cruzini, disposait toujours  de suffisamment d’eau pour subvenir au traitement des céréales cultivées à San’ Ghjuvanni, Lèni, Maltusu, Cotisciani, et dans les champs des Bracciali.
    Traboccu, Traboccu est une entaille dans les roches, là où, même le soleil n’ose y jeter ses rayons.

Si vous deviez vous trouver perdus dans de tels précipices, seul un autour pourrait peut-être vous être  secourable. Ici, pas de cascade comme à l’Ancone, l’eau glisse sur les roches lisses avant de se jeter dans un noir tourbillon. Autour de ce trou tournoyant, les saules mêmes, tremblent de peur. Le fracas de cette eau furieuse, conte à jamais la dramatique histoire du moulin de Traboccu.

La légende[2] raconte la chevauchée du diable qui galopait par-dessus les montagnes de Guagnu, lorsque sa jument fendit d’un coup de sabot le mont Tritorre, le partageant en trois morceaux, avant de plier une jambe à l’Ancone et de s’abîmer ensuite dans les précipices de Traboccu. Les noms de lieu de nos régions ont une origine véridique,... toujours véridique,.... presque toujours......
    Posé sur deux rochers accrochés au bord du précipice, aujourd’hui le moulin cache ses ruines sous une ronceraie, comme s’il voulait ainsi, garder secrète sa tragédie.
    En ce mois de Novembre 1914, les hommes valides avaient déjà franchi le col de Tartavellu pour s’en aller arrêter l’invasion des prussiens à la frontière française. Vidés des forces vives, les villages devaient pouvoir continuer de subsister. Les femmes, les enfants et les anciens, s’employèrent à récolter, sécher et décortiquer les châtaignes. Les moulins faisaient entendre leur chant comme à l’accoutumée.
    Ziu Binadettu connaissait parfaitement le danger du précipice de Traboccu. Tombé dans la dérivation d’amenée des eaux, quelques années auparavant, il fut sauvé d’une chute mortelle par Anghjula Maria, adolescente d’une quinzaine d’années, qui put le retenir  par sa ceinture de flanelle rouge.
    En cette matinée du 15 Novembre 1914, après avoir vidé dans la trémie deux sacs de châtaignes, Ziu Binadettu actionne un levier, lequel à travers le plancher, dévie la conduite d’eau forcée qui met en rotation la roue à aubes, entraînant par l’intermédiaire d’un arbre de transmission vertical, la meule mobile. Sous la voûte de pierres, l’eau surgit en éventail, avant d’aller revêtir d’une traîne blanche irisée, les calanques, jusqu’au fond du précipice. Accrochés à une boîte articulée, à l’embouchure de la trémie, deux crochets se traînent en sautillant sur la meule en mouvement, faisant ainsi chanter le moulin, tata... taratata... tata... taratata..... Par le tremblotement provoqué par les crochets, la boîte reçoit les châtaignes en petites quantités, pour les laisser tomber au fur et à mesure dans l’embouchure de la meule tournante. Alors, Ziu Binadettu palpe entre ses doigts la farine s’échappant de la meule en frottement avec le support fixe, et en évalue la finesse. La manipulation d’une mécanique qui commande un système placé sous le moyeu de la roue à aubes, règle par l’intermédiaire de l’arbre de transmission vertical, le degré de frottement de la meule en mouvement sur celle qui est fixe. La farine de Ziu Binadettu est toujours d’une finesse bien mesurée.

– Attention ! Lors du battage, du tamisage et du tri des châtaignes, ne laissez jamais passer un seul fruit mou. Sans cela, les meules s’encrasseraient et le meunier devrait alors retourner la meule mobile pour supprimer au burin, les traces noires et grasses laissées par la châtaigne molle. 

Quel travail !

Suite et fin: le drame
    En cette soirée du 25 Novembre 1914, dans l’unique pièce au sol en terre battue où, le feu allumé en plein milieu, chauffe autant qu’il enfume, le dîner est  terminé. Zia Maria-Francesca, avec sa fille Paulina âgée de dix ans, aide son mari dans sa dure besogne. Des morceaux de bois gras de pin enflammés, fixés au mur, répandent une faible clarté tout en laissant tomber sur le sol des gouttes de résine fumante. Une odeur de polenta et de figatellu rôti, flotte encore dans une atmosphère enfumée.
    D’un naturel joyeux, chaque soir Ziu Binadettu fait toujours rire Paulina, lorsque avec sa voix de montagnard il chante cette vieille chanson :

    "J’ai mangé une bonne purée,
Mon ventre chante poué poué,
Si je m’en sors de cette soirée,
De la purée,  la bonne purée,
Si je m’en sors de cette soirée,
Non jamais plus, n’en mangerai !

Comme d’habitude, avant de se coucher, Paulina s’en va dehors pour respirer un bon bol d’air frais.
    – O Paulina ! Prends un tison dans le feu, si tu le secoues comme il faut, il dégagera assez de clarté pour que tu puisses bien diriger ta marche !
    Paulina connaît parfaitement l’endroit. Après avoir tiré la porte derrière elle, la petite fille sent le froid la transpercer jusqu’aux os. Dans la nuit noire le vent gémit, Paulina tremble ; est-ce de froid ou bien aurait-elle peur ? La fumée du tison la fait larmoyer.

La conduite forcée haute de dix mètres au-dessus du toit, déborde. Des feuilles mortes et des branchages encombrent la grille de tamisage, une grande quantité d’eau coule par le déversoir.
    « Avec cette déperdition d’eau, le moulin pourra-t-il continuer de bien fonctionner ? »
    Avec ce souci, Paulina grimpe sur l’aqueduc, secoue la grille, tire les branchages, pousse les feuilles, se penche pour mieux faire, se penche encore plus, un peu trop..., trop...
    Paulina, ne serait-elle pas imprudente ?

Après avoir fini d’attiser le feu pour la nuit, Ziu Binadettu chante, « O Ziu Andri’, caru di me... »  Zia Maria-Francesca, prépare les sacs de jute rembourrés de feuilles de maïs, pour le couchage.
    – O Binadet’ as-tu entendu... un cri... un cri ?
    La grille rouillée, secouée énergiquement est tombée dans la conduite forcée. Aspirée par un fort tourbillon, Paulina a jeté ce cri de désespoir avant d’être avalée par la bouche goulue et  mortelle de la conduite forcée.

Un cri, un seul cri strident, court mais si épouvantable, que même les pins d’Alzetu en ont tremblé d’effroi. La conduite forcée est bouchée au fond par Paulina, la meule ralentit, ta... ta ta... ta... tarata... ta... ... ..., les crochets ne sautillent plus, le moulin s’arrête, le moulin meurt pendant que meurt Paulina. Le cri résonne encore un moment dans la tête de Ziu Binadettu, qui reste pétrifié d’effroi.
    

– Ma fille ! Ma fille !
    Zia Maria-Francesca se précipite au dehors ; toute l’eau se déverse.    
– Paulina, Paulina est tombée dans la conduite forcée ! Le barrage ! au barrage ! Détourne, arrête  vite l’eau Binadet’, vite, vite !

    Cependant, au fond de la conduite forcée, la vie de Paulina s’en est allée. Pour dégager le corps de leur fille de ce gouffre, Ziu Binadettu et Zia Maria-Francesca ont lutté jusqu’au matin, dans une nuit noire et glacée. Attachée enfin par une fune, Paulina fut tirée et étendue sur le rocher.

Dans l’aube naissante, une fumerolle blanche s’éleva au-dessus du moulin de Traboccu, pour s’évanouir là-haut dans le ciel. Le fracas du torrent s’est apaisé, le vent est tombé ; à travers une éclaircie, la lune jette une lueur blafarde sur la lugubre scène. Les cheveux mouillés font une brune couronne à la blême figure de Paulina ; ses yeux bleus portent un regard innocent, clair, infini, vers l’infinité du ciel.
    

– Paulina est morte !

Au lever du jour, les cloches de Salice jettent lentement dans l’air matinal, une longue et triste plainte, tin ton tin tilon,  le glas, tin ton tin tilon ...
    – Qui est mort O Zia Maria ?
    – La fillette de Traboccu, Paulina est morte !
    – Qui donc ? La petite fille ! Comment est-ce possible ? Quel malheur !    
    Zia Maddalena et Ziu Martinu du moulin de la Casella, Zia Maria-Rosa et Ziu Antone de la Bughja et Zia Mattea et Ziu Battistu de Lovisani, tous les meuniers accourent porter leur soutien et leur aide aux parents éplorés de Traboccu.
    – Quel malheur, ma cousine !
    – Quelle affreuse destinée, mon enfant !
    Tous ces cris et ces pleurs, font une berceuse mortuaire à Paulina.

Il faut transporter son corps au village. Ziu Battistu  coupe quelques branches d’aulne, à la serpe. Les rejets de roncier fendus et laminés par frottements successifs autour d’un tronc d’arbre, fournissent à Ziu Martinu de bonnes attaches pour  les branches. Voilà un brancard improvisé sur lequel Paulina dort sereine, entourée de fraîches feuilles d’arbousier. Autour de cette fumerolle blanche, nuées grises, les meuniers pleurent cette jeunesse terminée, avant même d’avoir commencé.

Là-haut, au village les cloches pleurent aussi ; tin ton tin ... La famille des meuniers en procession traverse les lieux-dits du Lavatoghju, l’Aghja-a-u-Lume, le Salettu, les premières maisons de la Punta ; ici, le village entier attend Paulina.

Les femmes, la faldetta[1] rabattue sur la tête par-dessus le foulard noir noué sous le menton, portent toutes deuil, un deuil récent, un deuil ancien, mais toujours, deuil. Leur jupe noire, longue, laisse tout juste apparaître la pointe des chaussures du dimanche. Les hommes ont coiffé le chapeau noir ; la ceinture de flanelle bleue serre leur taille sous un gilet de velours.

La tante Catalina accueille sa nièce avec une « ballata[2] » improvisée :

 Pour une bien triste noce
Chez ta tante Catalina,
Tu prends un piètre carrosse
Ma princesse Paulina.

 Ton bonheur s’en est allé
Maria-Francesca ma sœur,
La machine a mouliné
De ta fille sang et cœur.

 Ma fleur au si doux parfum
De la rosée ma fine goutte,
A Traboccu du moulin,
Est tombée la clé de voûte.

 – Allons Paulina, invite nous pour un moment chez toi !

Dans sa maison, sur un petit lit blanc avec sa robe du dimanche, Paulina reçoit tour à tour pour un court instant, ses proches, ses voisins, et les villageois. Les pleurs, les cris vous serrent le cœur :

– O Paulina, ce n’est pas vrai....., Tu t’en vas dès ton arrivée....., réponds vite à ta cousine !

 Au cimetière de Saint-Eustache, Antone, Ghjaseppiu, et Ghjuliu creusent la fosse. Dans le silence, l’on n’entend que le bruit de la pioche. Une si petite fosse remplit toujours le cœur d’angoisse.

A six heures du soir, les cloches appellent à la prière du rosaire. La maison et les ruelles environnantes sont noires de monde. Les femmes répondent en chœur aux prières du Pater Noster et de l’Ave Maria, psalmodiées par le curé.

La veillée commence après le dîner. La douleur est si grande que personne ne racontera, comme de coutume, d’histoires de mazzéri et de revenants. Vers minuit, Maria-Dumenica sert le café aux jeunes gens qui veilleront jusqu’au lever du jour.

Le cercueil, fait à partir de planches de châtaignier bien sèches, par Dumenicu et Ghjaseppiu les menuisiers du village, est déjà là. A six heures du matin, Zia Maria-Francesca et Ziu Binadettu donnent un dernier baiser à leur fille chérie, après l’avoir installée dans le cercueil, enveloppée d’un blanc linceul, sur un coussin de plumes. Affligés, courbés par la douleur, Antone et Ghjaseppiu clouent le couvercle avec des gestes mal assurés, pendant que Zia Maria-Francesca improvise en pleurant :
    Mon oisillon toi si petit
Tu as blessé notre cœur,
En tombant de ton petit nid
Tu as fait notre malheur.

 Mon arbrisseau tu t’es brisé
Dès le printemps de ta vie,
Prie pour nous saint Elisée
Le bon Dieu, la vierge Marie.

 A pied, à cheval, les gens des environs arrivent au village pour les obsèques. Le glas résonne encore, lorsque le piévan[3] donne une ultime bénédiction avant de quitter la maison mortuaire.

 – Beati immaculati in via, qui ambulant in lege Domini....

Un interminable cortège s’étire lentement ; les pleurs des femmes cessent en entrant dans l’église. Le cercueil est déposé sur un catafalque de fleurs blanches et de verdure, entouré de cierges allumés.

– Requiem æterna dona eis Domine,
– Et lux perpetua luceat eis...,

 Pitrarellu a tout juste dix ans ; il sert la messe et répond en latin aux prières du curé.

– Dies iræ dies illa, solvet sæculum in favilla.....

Ziu Petru et Ziu Ghjuliu entonnent en paghjella[4] le chant des morts.
    En ce jour, Pitrarellu pense que Paulina est en fête, « .... dans son ca... son pa... patafalque... ! »
    Est-ce que l’enfant ne serait pas un peu envieux de tant d’attentions et d’honneurs pour Paulina... ?

– Libera me Domine, de morte æterna,...

« Æterna, morte æterna,... Pitrarellu pense... mais si la mort est éternelle,... pour toujours,... ne vaudrait-il pas mieux vivre, vivre même méconnu ? »

Pour la levée du corps les hommes chantent :
– In Paradisu deducant te Angeli.....
    Le pievan tourne alors autour du catafalque en secouant le goupillon. Pitrarellu qui suit en présentant le bénitier, reçoit sur le visage quelques gouttelettes, qui le font cligner des yeux. L’encensoir balancé par Antone, lance des bouffées de nuées grises et blanches ; l’air frais de l’église prend ainsi un parfum de fête.

Ensuite, quatre par quatre, les jeunes gens se relaient pour porter le cercueil dans l’étroit sentier qui conduit au cimetière.

– Juvenes et virgines ....

Les cris et les pleurs couvrent les prières du curé. Déposer l’enfant dans la fosse, quelle angoisse ! Sa mère s’arrache les cheveux, se griffe le visage, il faut la retenir, elle se débat, elle veut se jeter dans le trou.
    Chacun jette une poignée de terre sur le cercueil en un ultime adieu. En entendant ce bruit, Pitrarellu se rappelle le fracas d’un orage de grêle sur le toit en bardeaux, du moulin. Tremblante de peur, Paulina s’était serrée contre sa poitrine :

– O Pé’ ! O Pé’ ! Crois-tu que nous allons mourir ? Sais-tu, que je t’aime ? Si nous devions mourir tous deux, la mort me serait plus légère !
    – Paulina, que notre sort soit toujours sans tempête, sans grêle et sans peur !
    Mais en ce jour, quel triste sort !
A coups de pelletées, les jeunes gens recouvrent le cercueil, vite vite, tout comme s’ils voulaient cacher rapidement ce grand malheur.

Pour recevoir tant de monde, Ziu Binadettu a fait tuer deux génisses de son troupeau. Deux sœurs toujours dévouées, Maddalena et Ghjuvanna, ont préparé le ragoût.

Dès la mort de Paulina, le moulin de Traboccu s’est figé dans une immobilité définitive. Par la suite, les moulins de la Bughja, de Lovisani et de la Casella se sont également tus.

Aujourd’hui, par leur immobilité les crochets de la meule ont à tout jamais, fait cesser le chant du moulin.

Depuis ce temps-là, chaque année aux alentours du 25 novembre, on peut voir quelques nuées grises monter de Lovisani par l’Umbriccia, d’autres s’élever de la Bughja et de la Casella, pour faire une ronde autour d’une fumerolle blanche au-dessus de Traboccu. Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas d’un signe avant-coureur de pluie, non, pas de signe avant.... non, ce sont des revenants... les meuniers... Paulina... Traboccu.... le moulin... Paulina... le moulin de Traboccu !




[1] – Jupe que l’on peut rabattre sur la tête par derrière, parfois en signe de deuil.

[2] – Chant mortuaire improvisé, selon la circonstance du drame.

[3] – Curé de la piève, appellation encore usitée à cette époque.

[4] – Chant à deux (pair, paghju), ou trois voix, en polyphonie improvisée.

– Si voi falate in Traboccu, andateci piuttostu pà u fondu di u Valdu, chì, pà a strada di a Casella, ghjunghjarìate sùbitu, sopra à i spisciati periculosi.

U ghjargalu di Traboccu fale da trè surghjente. Quella chì sorte da Càgnula, sottu à l’anzianu  casgile di Ziu Ànghjulu Maria à u pede di u Tritore, si lampe à a piscia di l’Ancone alta dui centu palmi, nanzu di truvà, ind’i castagni di l’Onda, l’acqua chì vene da e zenne di l’Aculaghja, sopra à Campu Vechju. Più inghjò, ind’i castagni di a Casella, ci  ghjunghje u ghjargalu di a Bughja isciutu da u tracone di a Croce, ghjustu sottu à a punta di U Ciarbellu.

Eccu l’acque, sempre bundente d’invernu, chì si làmpenu ind’e linte di Traboccu.

    Trè mulini, trè mulini macinàvanu ind’i tempi antichi, e castagne di U Salge è di u circundariu ; quellu di A Bughja, un antru ind’A Casella è u terzu in Traboccu. D’istate, u mulinu di Lovisani, ind’u fiume vicinu à Teti, avìa sempre abbastanza d’acqua per macinà a biada di e coste di  San’ Ghjuvanni, di Leni, di Maltusu, di Cotisciani è di i piani à i Bracciali.

Traboccu o ghjente, Traboccu hè un inzecca ind’e linte, induva mancu u sole ùn ci pò lampà un raghju.

   Si voi trapintassite ind’un traboccu cum’è quessu quì, sola l’altagna pudarìa andà à circavvi. Quì, l’acqua ùn salte micca cum’è à a piscia à l’Ancone, innò, quì l’acqua sguille nantu à e linte per lampassi in un pozzu neru pienu à bollari. Intornu, l’alzi trimulèghjenu cum’è da a paura. U fràiu furiosu di ist’acqua dice tutta a stòria dramàtica di u mulinu di Traboccu.
    I nostri antichi dicìanu chì u diàmine, fughjendu da Guagnu à cavallu, a so ghjumenta inciampò annantu à u Tritore spizzendulu in trè pezzi, nanzu d’innancassi in Ancone è di trabucassi ind’u pozzu di Traboccu. I nomi di i nostri rughjoni hanu tutti una stòria... vera... sempre vera... guasi sempre !

Spostu trà dui monti, appiccatu à e linte, oghje u mulinu si piatte ind’i lamaghjoni, cum’è s’ellu vulissi tene sicreta a so tragedìa.

 Ind’issu mese di Nuvembre mille è nove centu è quattòrdici, l’omi avìanu francu a bocca à Tartavellu per andà à fà piantà i prussiani à e fruntiere di a Francia. I paesi disvitati, avìanu da campà quantunque. E donne, i zitelli è i vechji, avìanu coltu è seccu e castagne. I mulini cantàvanu cum’è sempre.

Ziu Binadettu cuniscìa bè i piriculi di isti lochi di Traboccu. Anni fà, quand’ellu era cascatu ind’a matre, Ànghjula Maria, zitellona di quindici anni, ritinèndulu pà a so cinta rossa, l’avìa salvu d’una tambata murtale.

 Quella mane di u quindici di nuvembre di u Quattordici, dopu d’avè lampatu dui sacchi di castagne bianche ind’a trimughja, Ziu Binadettu punte u palu di legnu chì, à traversu à u sulaghju ind’u carcianile, face sculiscià una tavula sottu à a cannella d’acqua furzata ; u rutone à cuchjare orizzuntale si move fendu bugà a màcina suprana. Sottu à a volta di petre, l’acqua spule in sparaventula, nanzu di veste l’elpe sinu à in fondu di tracone, d’un vele biancu irrizatu à i culori di l’orcu. Appiccati à u trimughjolu, scàtulella sottu à l’umbutu di a trimùghja, dui ancini[1]sàltenu à trascinella annantu à u molu in rutazione, ratachjendu tata... tarata tata... tarata...tata.... Mittendusi à trimulà, u trimughjolu si riempìe di castagne eppoi e face cascà à pocu à pocu ind’ì l’imbuccatura di u molu. Ziu Binadettu intoppe tra e so dite a farina chì spule trà e màcine, è taste a so finezza. A strifinera di u molu, hè rigulata incù un’ antra meccànica chì, sottu à u puntoghju di u rutone à cuchjare, pà u mezu di u mozzu, suppese o face calà a màcina suprana. A farina di Ziu Binadettu hè sempre fina, ghjustu à puntu.

– Attenti ! Quand’ì vo’ pistate e castagne, ùn lasciate mai un mullone. E màcine sarìanu imbranaghjate. Tandu u mulinaghju duvarìa vultà a màcina suprana per caccià e tracce nere di e castagne molle.

Chì travagliu, o zì !


[1] – Altru nome, ratachje. 







Ista sera di u vinticinque di Nuvembre mille è nove centu è quattordici, a cena hè fatta ind’a stanza di u mulinu. U sulaghju hè di tarra battuta, u focu hè imburratu. Zia Maria Francesca dà aiutu à u  maritu incù Paulina, a figliola di dece anni. Dui màzzuli di deda accesa è spinghinosa, danu un pocu di chjaru ind’a pezza. Una fumata di pulenda unta di figatellu arrustitu, si ne stà ind’ì l’aria.

    Ista sera, cum’è sempre, Ziu Binadettu hè alegru. A so voce muntagnola face ride à Paulina quand’ellu cante ista vechja canzona :

« Aghju manghjat’una paparinata,
È lu me corpu face pupù,
S’eiu mi ne sortu di questa curpata,
Paparinata, paparinata,
S’eiu mi ne sortu di questa nutata,
Paparinat’ùn ne manghju mai più. »

 Nanzu di chjinassi, Paulina si ne và un pocu fora.
    – O Paulì ! Pigliàti un tizzone, si tù u scuzzuli bè ci vidarè abbastanza per fà attinzione à li to passi !
   

Paulina cunnosce i so lochi. Fora, dopu d’avè traiutu l’usciu, u freddu li ghjunghje sinu à l’osse. Bùghju neru, ventu mughjente, Paulina trimuleghje ; sarà freddu o sarà paura ? U fume di u tizzone face lacrimà i so ochji.    
    U cundottu d’acqua furzata altu trenta palmi, dirittu sopra à u tettu, sbarse. Tante casce, rochji è pezzi di legnu sò imbruccati ind’a griglia, l’acqua si perde.    
    « U mulinu avarà da piantà ? »  
    Incù istu pinzeri, Paulina colle annantu à u cannellu, scuzzule, traie è punte e casce è i legni, si pende, si pende, ma si pende un pocu troppu...
    Paulina ùn sarìa micca un pocu imprudente ?

Ziu Binadettu hà finitu d’imburrà u focu è cante... « O zì Andrì caru di mè... ». Zia Maria Francesca acconce i sacconi pè u durmitoghju...
    
– O Binadè hai intesu... un stridu... un stridu... !    
    A griglia righjinosa scuzzulata, si n’hè falata ind’u cannellu. Aspirata da l’acqua furiosa, sbattulèndusi, Paulina hà lampatu istu stridu addispiratu, eppoi, u cundottu ingordu s’hè ingullitu a zitella ind’a so bocca murtale.
    Un stridu o zì, un stridu solu, cortu, ma tantu è tantu spavintosu, chì ancu i pini d’Alzetu ne hanu trimatu. In fondu di cundottu, u cannillone hè tappatu da Paulina, u molu và più pianu ...ta.. .ta... ta... tara..... ta... ta... ...  l’ancini ùn saltenu più, u mulinu piante, u mulinu more è more... è more Paulina. U stridu ribombe una stonda in capu di Ziu Binadettu, fermu seccu da u tarrore.
    – Ohimè a me figliola !
    Subitu, Zia Maria Francesca si lampe fora, l’acqua sbarse.
    – Paulina, Paulina ind’u cannellu ! A matre ! A matre ! Torci l’acqua o Binadè ! Sùbitu ! Sùbitu !
    

Mà Paulina in fondu di u cannellu hà persu aghjà a vita. Per caccialla da culà, ind’a notte bughja, Ziu Binadettu è Zia Maria Francesca hanu scumbattutu sinu à a mane. In fine a zitella fù ricussa, traiuta cù una funa è stesa tramurtita, annantu à una linta.    

Ind’ì l’alba chjara, sopra à u mulinu di Traboccu, un fumacciolu biancu si ne và à l’insù, versi u celu. U fràiu di u ghjàrgalu pare più dolce ; s’hè calatu lu ventu, u celu s’hè inchjaritu, a luna lampe annantu à u mulinu, un luciore palidu. I capelli crosci fàcenu una curona bruna à a facciarella di Paulina, bianca cum’è un linzolu di linu ; i so ochji turchini pòrtenu un sguardu nucente, chjaru, infinitu, voltu l’infinità di u celu.
    – Hè morta Paulina !...
    À lu spuntà di u ghjornu e campane di U Salge lampenu ind’ì l’aria matinale un pientu longu, longu; tin ton tin tilon, à murtòriu, tin ton tin tilon ...
    – O Zia Marì, qual’hè mortu ?
    – Hè morta Paulina, a zitella di Traboccu !
    – Quale ?  A zitilluccia, ùn si pò crede, o tamantu dannu !    
    Zia Maddalena è Ziu Martinu di a Casella, Zia Maria Rosa è Ziu Antone di a Bughja, Zia Mattea è Ziu Battistu di Lovisani, tutti i mulinaghji ghjùnghjenu à Traboccu in aiutu.
    – Ohimè, a me parente !
    – Tamanta disgrazia, a me zitella !
    Tanti gridi è tanti pienti, fàcenu una nanna murtuarìa à Paulina.

Ci vole à purtà a zitella in paese. Ziu Battistu cù un pinnatu taglie uni pochi di pali d’alzu. I lamaghjoni danu à Ziu Martinu e lame per fà i ligàmini. Eccu un catalettu prontu, Paulina annantu à a frasca di l’àlbitru, dorme serena. Intondu à istu fumacciolu biancu, fumàcciule grisge, i mulinaghji piènghjenu, piènghjenu ista ghjuventù finita nanzu di cumincià.


Insù, e campane chjàmenu sempre : tin ton tin tilon, ... A prucissione di a famiglia mulinaghja si mette in istrada. U Lavatoghju, l’Aghja à u lume,... tin ton tin... U Salettu, e case di A Punta, quì, tuttu u paese in affaccu, aspette à Paulina.

E donne, incù a faldetta vultata in capu par sopra à a caparella, pòrtenu tutte dolu, dolu novu o dolu vechju, ma sempre dolu. E gunnelle nere, longhe, làscenu à pena affaccà a punta di i scarpi di e feste. L’omi hanu messu u cappellu neru ; a cinta turchina stringhje a vita sottu à u ghjileccu di villutu.

 A Zia Catalina, incù a so voce trimulente, face una ballata à a nipote :

 

O nipote Paulina,
Ti ne ghjunghji in catalessa,
Di a to Zia Catalina
Tù eri la principessa.

 U to core s’hè strappatu
A me Maria Franciscola,
U mulinu hà macinatu
Sangue di la to figliola.

 O dulcior’ di lu più finu,
U me fior’ di primavera,
Di Traboccu lu mulinu,
N’hè cascata la quattrera.
    – Aiò o Paulì ! Andemu un pocu in casa toia !

In casa, incù u so vistitu di a dumènica annantu à u littarellu biancu, Paulina riceve i parenti, i vicini, i paisani chì si ne stanu una stonda. À ogni visita, pienti è brioni vi stringhjenu lu core :
    – O Paulì... ùn hè micca vera,... ti ne sè andata à pena ghjunta... rispondi à a to cugina !


À Santu Stasgiu, Antone, Ghjaseppiu è Ghjuliu àprenu a fossa. Zitti, ùn si sente cà u trostu di u zappone. Una fossa cusì chjuca hè sempre piena d’affannu.

À sei ore di sera, e campane chjàmenu pè u rusàriu. A casa è a stretta sò piene di ghjente. U prete dice u Patinostru è l’Ave Maria, e donne rispòndenu tutte inseme à e prighere.

A veghja cumence dopu manghjatu. Ista sera hè tristezza, ùn ci sarà nè vezzi, nè mìnguli, nè fole di mazzeri è di finzione. À mezanotte, Maria Dumenica serve u caffè à i ghjòvani chì staranu svighjati sinu à u spuntà di u ghjornu.

A cascia, fatta di castagnu seccu da i bancalari Dumenicu è Ghjaseppiu, hè ghjunta. Versi sei ore di mane, Zia Maria Francesca è Ziu Binadettu danu un ultimu basgiu à a so figliola cara, dopu d’avella arranghjata ind’a cascia  cù un linzolu, annantu à un cuscinettu di piume. Eppoi Antone è Ghjaseppiu chjòdenu u cupàrchjulu mentre chì Zia Maria Francesca lascie corre i so pienti :

 O lu me piulacone,
Da lu nidu hè cascatu,
Lu me dannu hè maiurone,
Lu me core s’hè spizzatu.

 Àddiu lu me arburinu,
Ti ne sè troncu di vranu,
Prega per noi lu bambinu,
A Madona è San’ Damianu.

 À pedi, à cavallu, i frusteri ghjùnghjenu pè a scirata, da tutti i paesi di u circondàriu. E campane sònenu l’ultimu toccu, quand’ì u Piuvanu binadisce a cascia, nanzu di parte da a casa.

– Beati immaculati in vìa, qui ambulant in lege Domini... .

 U curteghju hè longu ; i pienti di e donne piàntenu ghjunghjendu in ghjesgia. A bara hè sposta ind’un catafalcu di frasche è di fiori bianchi, intundatu da i cironi.

Requiem æternam dona eis Domine,
Et lux perpetua luceat eis....

 Pitrarellu hà ghjustu dece anni, ma serve a messa è risponde à a chjama di u prete, in latinu.
    – Dies iræ, dies illa, solvet sæculum in favilla...

Ziu Petru è Ziu Ghjuliu intonenu in paghjella u cantu di i morti.
    Oghje, Pitrarellu pense chì Paulina hè in festa.  « .....ind’u so ca... u so pa... patafalcu... ! »

U zitellu ùn sarìa micca un pocu invidiosu di tanta primura per Paulina... ?
    – Libera me Domine, de morte æterna,...
« .... eterna, eterna... » Pitrarellu pense... « ma si a morte hè eterna ... per sempre... sarìa megliu à campà... ancu à u bughju.... »

Pè a livata di corpu, tutti l’omi cantenu,
   – In Paradisu deducant te Angeli... ... !

U Prete voghe in giru di u catafalcu scuzzulendu  u binaditinu. Pitrarellu chì tene u bidone d’acqua binadita, si ne busche in faccia une poche di goccie chì li facenu stringhje l’ochji. A brusta di l’incensoriu mangariatu da Antone, lampe fumacciole grisge è bianche à buffulate, è l’aria fresca  di a ghjesgia piglie un prufume di festa.
    Eppoi, i ghjòvani, quattru à quattru, si scàmbienu ogni tantu per purtà a cascia ind’a stretta di u campu santu.
    – Juvenes et virgines ....

Gridi, pienti, sò più forti cà e prighere di u Prete. Mette a zitella ind’a fossa, chì angoscia !  A mamma si sgranfiche, si cimiche, ci vole à tènela, si vole lampà ind’u ciòttulu.
    Ognunu ghjette una manata di tarra annantu à a cascia in un’ ultima binadizione. Sintendu istu trostu, Pitrarellu pense à ista grandinata annantu à e scàndule di u mulinu, una sera di timpurale. Trimulendu, Paulina s’era avvicinata, strinta à u pettu di Petru :

– O Pè ! O Pè ! Avaremu da more ? À sai ti tengu caru, mi ! Si no’ muremu, chì no’ mòrghimu inseme, tramindui ! 
    Petru li disse: 
    – O Paulì, chì a nostra sorte sìa sempre senza timpurale, senza gràndina è senza paura !   
Ma oghje, chì sorte... a sorte !...
    À colpi di banghinu i ghjòvani fascenu a cascia, lestri lestri, cum’è s’elli vulessinu piattà prestu tamanta disgrazia.

Per pudè fà manghjà tanta ghjente, Ziu Binadettu hà fattu tumbà dui manzi. Maddalena è Ghjuvanna, duie surelle, hanu appruntatu u tianu pè u taccone.
    Morta Paulina, hè mortu u mulinu di Traboccu. Eppoi, si ne sò spenti quelli di a Bughja, di Lovisani è di a Casella.
    Oghje, u cantu di l’ancini di u molu, hè oramai finitu.

A sapete o ghjente ! Da tandu, versi u vinticinque d’ogni mese di nuvembre, vidarete sempre qualchì fumàcciula grisgia cullà da Lovisani par l’umbriccia, d’altre vènenu da a Bughja è da a Casella per fà una vogatonda sopra à Traboccu, intondu à una fumacciola bianca. Ùn hè micca segnu di piove minà ... innò,... micca segnu di... sò finzione o ghjente... i mulinaghji... Paulina... a finzione di Paulina... Traboccu, u mulinu... Paulina, u mulinu di Traboccu... !         



[1] – Ziu, oncle, Zia, tante, par respect, précède le prénom d’un homme ou d’une femme d’un certain âge.

[2] – la légende a été imaginée d’après les noms de lieu : le massif du Tritorre est composé de trois monts en forme de tour, Ancone désigne littéralement une "grande jambe", le traboccu est un précipice.